La phrase du jour: "le Chinois regarde une branche"
Hier, il faisait beau dans la forêt de Meudon. On voyait des familles pique-niquer çà et là, à l'ombre des chênes ou au milieu des hautes herbes. Des enfants, aux prénoms" bonne vieille France", y avaient été réunis à l'occasion d'un anniversaire par un couple de Français, tout aussi "bonne vieille France comme on en fait plus malheureusement", à en juger par leur accoutrement. Les enfants étaient assis en cercle et le couple prenait des photos de la scène. Je jouais avec mon fils au ballon quand mon regard fut attiré par une branche, à la forme étrange. Je la pris dans la main et l'examinai. J'entendis alors un des enfants s'exclamer: "Oh, le Chinois regarde une branche!". Je me retournai et vis tous les regards, petits et grands, de la bonne vieille France, braqués sur moi, ceux des enfants et ceux du couple. Je les regardai à mon tour légèrement irrité. Sur le moment, j'eus le sentiment désagréable d'être dans la peau d'un singe de cirque qui aurait fait une belle pirouette et à qui les enfants auraient dit d'une seule voix en le désignant du doigt: "oh regarde, le singe, il a fait une pirouette!". Mais ensuite, je m'inquiétai du devenir de ces enfants qui ne devaient pas fréquenter d'enfants étrangers et encore moins savoir que des Français peuvent être d'origine étrangère. Je pensai à leurs parents qui en voyant un "chinois" ne doivent jamais se dire que ce Chinois est français, mais irrémédiablement chinois. Car à leurs yeux, un Chinois restera un Chinois, tout comme un Arabe restera irrémédiablement un Arabe et certainement pas un Français; même s'ils ont toujours vécu en France et parlent parfaitement la langue de Marcel Proust. Je suis à la fois fier et honteux d'être français; fier, quand je croise des gens qui sont capables d'ouverture d'esprit et qui me rappellent qu'on est dans le pays des Lumières; Honteux, quand j'en croise d'autres, - et malheureusement trop souvent - qui par leur conservatisme et leur manque d'ouverture, me font dire que la France a encore un long chemin à parcourir avant d'accepter la diversité de sa population.
Quoiqu'il en soit, "le Chinois regarde une branche" est une phrase amusante. Elle n'a aucun intérêt en soi, tout comme une phrase telle que "la voiture est garée" n'a aucun intérêt; mais replacée dans son contexte, elle prend alors une toute autre dimension. Elle fait partie de toutes ces phrases que l'on prononce machinalement sans en voir la portée.
Cette phrase du jour pourrait servir de titre à un roman ou une nouvelle.
- Je viens
de l’espace. Mais rassurez-vous…je ne suis pas vert, ni monstrueux avec quatre
yeux, je n’ai pas non plus des doigts transparents infiniment longs et
gluants. Des astrophysiciens d’une planète qui se trouve, selon vos unités de
mesure, à plusieurs milliers d’année lumière de la mienne, ont pu observer
grâce à leurs puissants satellites– ils sont bien plus en avance que
nous !- votre planète, avec une précision qui nous a abasourdi, il faut
bien l’avouer. Après des années de recherches, ils étaient ravis de
découvrir enfin qu’il y avait de la vie, ailleurs que dans notre
galaxie ; mais l’euphorie a été de courte durée, elle a été remplacée par
du dégoût quand ils ont examiné de plus près vos caractéristiques physiques. Je
pourrais imiter leur cri de dégoût, mais je ne suis pas certain de votre
réaction. En fait, ils vous trouvaient tout simplement monstrueux ! Quand,
en aimables voisins, les scientifiques de cette planète ont fait parvenir les
clichés à nos scientifiques, il paraît qu’ils ont griffonné une petite note
dessus, en disant qu’on n’était pas les seuls dans l’univers à être gâté par
dame nature. Autant dire qu’ils se foutaient de nous, mais c’était de bonne
guerre. On leur rendait la pareille, de toute façon, dès que l’occasion s’en
présentait : si à leurs yeux, nous étions monstrueux, ils l’étaient encore
plus à nos yeux. Quand nos scientifiques ont vu les documents, ils ont tout
d’abord cru à un canular de mauvais goût de la part de nos voisins : sur
les photos vous nous ressembliez en tout point ! Ils ont donc émis des
protestations en disant qu’une telle plaisanterie ne seyait pas à des éminents
confrères hautement respectés par la communauté scientifique interplanétaire,
combien même ils seraient d’une autre planète. Devant nos protestations,
ils ont décidé de fournir un rapport étayé par des preuves incontestables: la
localisation de votre planète, des photographies des continents, des pays et de
ses habitants, et même des enregistrements audiovisuelles où l’on voyait des
hommes et des femmes nus faire des choses, inimaginables chez nous. Nos
scientifiques ont bien été obligés de se rendre à l’évidence : il y avait
bien dans une autre galaxie des habitants qui nous ressemblaient physiquement.
A la vue de cette ressemblance frappante, les hypothèses les plus sérieuses et
les plus farfelues ont aussitôt été émises car il ne pouvait pas ne pas y avoir
de lien entre cette planète et la notre. Je passe sur les hypothèses les plus
farfelues, et je vous présente les deux thèses dont on a le plus parlé. Ces
deux thèses, émises par nos historiens, partent du principe des origines
communes, mais divergent sur le processus de peuplement de cette planète. La première
appelée « Khkhkhram », tire son nom de la mission d’exploration
interstellaire K230402 qui disparut mystérieusement sans laisser de nouvelle,
il y a plusieurs milliers d'années. Sans espoir de retour chez eux, il
est possible que des survivants de l’équipage aient commencé à coloniser cette
planète avec le peu de choses qui leur restaient. L’autre thèse appelée
« Khkhkhramionk » tire son nom, quant à elle, d’une maladie virale
inconnue qui entraîne un amoindrissement des facultés cérébrales et une
croissance anormalement élevée de la pilosité. A peu près à la même époque que
la mission interstellaire dont je vous ai parlé, il avait été décidé de placer
provisoirement les personnes touchées par ce mal en quarantaine dans une
station spatiale arrimée à un vaisseau mère, le temps de trouver un remède. Or,
pour une raison encore inexpliquée, ces personnes se sont emparées, avec l’aide
de complices, du vaisseau mère et se sont enfuies. Comme elles avaient franchi une
certaines distance, nous n’avions plus les moyens techniques, à ce moment là,
de les retrouver. Aujourd’hui, il en serait autrement...Il est possible que ce
vaisseau ait échoué sur votre planète, et que n’aient survécu, par le plus
grand des hasards, que quelques individus souffrants et qui ne sont pas loin de
rappeler vos hommes de Cro-magnon. Ces hommes à l’intelligence très réduite
sont probablement vos ancêtres. C’est la deuxième hypothèse qui a retenu le
plus d’attention, car il était peu probable que les survivants de la mission
interstellaire régressent et vivent comme des primates. Notre
gouvernement a donc décidé de mettre sur pied une mission archéologique
interplanétaire pour retrouver les traces du passage de ce vaisseau sur
d’autres planètes, et refaire ainsi leur itinéraire, car il était impossible
qu’ils n’aient pas fait des haltes en cours de route pour s’approvisionner en
combustibles ou en vivre. Nous avons aujourd’hui des appareils qui
détectent les particules laissées par le passage d’un vaisseau…
Voyant que
les policiers qui m’interrogeaient ne croyaient pas un traître mot de mon
récit, j’interrompis là mon exposé. Un des policiers au visage émacié, grand et
maigre, adossé à une armoire métallique, se tenait les côtes de rire. Son
collègue, assis face à moi , me demanda alors, encore une fois, et tout en
réprimant à grand peine un fou rire:
- C’est bien beau tout
ça...(hi,hi,hi) mais vos papiers...(hi,hi,hi) ils sont où monsieur le martien
(hi,hi,hi,hi) vos papiers ?
Je
lui répétai alors que je n’en avais pas et que je m’appelais simplement
Mohamed. Ce nom m’avait été soufflé la veille au soir par un homme un peu
éméché qui titubait dans la rue. Le voyant tomber, j'étais accouru pour le
relever et nous avions ensuite discuté. Je lui avais avoué que je n’avais pas
de nom (en réalité j’en ai un, mais imprononçable et difficile à rendre en
français ). Nullement étonné, il avait alors ajouté d’un ton assuré :
- Toi, t’as une tête à
t’appeler Mohamed. T’as une tête à faire chier le Français. Maintenant que tu
as un nom, dégage et fait pas chier ! Sur ces mots, il avait disparu,
s’enfonçant dans la nuit vers une destination inconnue. Je n’avais pas eu le
temps de le remercier.
Le policier qui m’avait
demandé les papiers se tourna hilare vers l’homme, grand et maigre, et lui cria
d’une voix aiguë :
- Chef, qu’est-ce qu’on met
dans le procès verbal ? Que Mohamed le martien nous prend pour des
cons ? Qu’il n’a pas de papiers, qu’il prétend venir d’une autre
planète ; qu’il a des puces dans la tête qui lui permettent de parler notre
langue, à savoir le français ; qu’il nous a dit qu’il pouvait parler
n’importe quelle autre langue ; que nous avons fait un essai de
cours d’anglais ; que je lui ai dit que j’étais un cop et qu’il m’a
répondu avec un accent parfait de roast-beef : « you mean a police
officer », que je lui ai demandé de me parler en chinois et que je
n’y ai rien compris. Enfin, est-ce que je dois mettre par écrit tout son foutu
baratin ?
Le chef ajouta alors :
- Il ne faudrait pas
oublier de mentionner qu’il a été appréhendé parce qu’il volait des bananes
dans une épicerie arabe. Être dénoncé par un Arabe, c’est scandaleux! Alors
qu’ils devraient se tenir les babouches entre eux. Mais, j’y peux rien. Il nous
a pas dit aussi quelque chose comme « voyage à travers la matière
sombre » et « gratuité pour tous les hommes». Et de
conclure : «Bon, on le boucle et on voit avec le service des
psy ! Je crois qu’on a là un beau spécimen».
A suivre...
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Munhwa
Ce blog a pour thème la littérature et la poésie contre le monde consumériste. Nous posterons des histoires courtes ou longues, sous forme de feuilletons. Elles sont destinée à tous ceux qui ont en commun le besoin d''évasion à travers l'imaginaire, et pou